Nous avancions comme à tâtons dans le soir, surplombant des pays où nous n’irions jamais. Nous étions des veilleurs de nuit, les seuls à demeurer présents au monde alors que d’autres s’oubliaient dans un sommeil indolent.
Des points de lumière traînaient comme des paillettes en poudre ; de petits pois de polka, clairs et nettement dessinés sur l’immensité grise-bleutée.
La Terre se découpait en une forme sinueuse, au loin ; serait-ce la mer soudain, qui taillait ainsi la roche au ciseau ?
Non, pas la mer, ce n’est que l’aile de l’avion qui gravite en suspens là à nos côtés, et projette sur le monde son ombre géante.
Ce n’est pas la mer, mais c’est l’Inde ! C’est l’Inde ! Nous ne pouvons qu’imaginer les vies aux milles couleurs, les temples et les bijoux, les peines et les choses difficiles que nous connaissons mal et oublions très vite.
La température extérieure affiche – 52°C. Déjà plusieurs heures que nous sommes enfermés ; nous aimerions un peu d’air, sentir la brise… Mais quel choc alors, quel chaos ce serait, ces bourrasques glacées s’engouffrant dans l’habitacle, des coups de fouet au visage, de terribles lames contre lesquelles nous tenterions de hurler mais qui nous blesseraient tous, chacun que nous sommes, arracheraient chaque parcelle de notre peau.
Nous nous succédons aux toilettes, nous regardons des films, nous consommons des en-cas, absurdement suspendus dans les airs, dans l’attente d’un pays qui ne sera pas le nôtre, ou au contraire le deviendra.
Nous sommes à la fois partout et nulle part, nulle part qui vaille, en fait, nulle part qui puisse être indiqué sur Google Maps, aucun lieu possible ni aucune terre précise.
Des nomades, en somme, en route vers l’Asie. Hà Nội est notre destination. Ses habitants nous pardonneront peut-être notre arrogance coloniale. Ils accepteront notre présence et notre désarroi face aux brochures écrites dans une langue parsemée d’accents ; graves, aigus, circonflexes, en vagues, au-dessous des lettres, en-dessous, parfois même plusieurs sous une même lettre.
Nous poserons peut-être un jour le pied près d’un des lacs de la ville. Pour l’heure, nous continuons notre route vers Hong Kong, le Port aux Parfums, saisis de fatigue et de la vague certitude que tout ira bien.
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Je ne suis pas l’auteur de la photo. Vous la trouverez ici.
You write beautifully, I almost wish I were with you – only almost… Happy landings. Enjoy every moment.
Thanks Caroline! I’ll make sure to enjoy every moment, even those when I miss smelly cheese too much 🙂